par Chantal Cordier-Vasseur , Associée LWA
Dans l’optique de simplifier la procédure civile et de la rendre plus lisible pour le justiciable, le Parlement a adopté, le 18 février 2019, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Cette loi, promulguée le 23 mars 2019, après validation de l’essentiel de ses dispositions par le Conseil constitutionnel, contient de très nombreuses mesures, dont certaines sont spectaculaires et modifient significativement le paysage judiciaire français et le déroulement des procédures en matière civile et commerciale.
Elle a donné lieu à plusieurs décrets d’application, dont le dernier a été publié le 20 décembre 2019 (décret n° 2019-149). Parmi ces mesures, nous en retiendrons trois, essentielles, y compris pour la vie des entreprises.
En premier lieu, nouveauté dont la presse s’est largement fait l’écho, la fusion des Tribunaux de grande Instance (TGI) et des Tribunaux d’Instance (TI) pour créer les Tribunaux judiciaires (TJ).
En réalité, le terme « fusion » n’est pas parfaitement approprié. En effet, deux situations doivent être distinguées :
- si, au sein d’une même commune, il y avait un TGI et un TI, ce dernier a disparu le 1er janvier dernier et, à cet ensemble TGI/TI, est substituée une seule juridiction : le TJ ; selon une note du Ministère de la Justice du 8 avril 2019, 57% des TI sont concernés ;
- en revanche, si le TGI et le TI du ressort sont situés dans deux communes différentes, le TGI devient TJ et le TI devient une chambre détachée du TJ dénommée « tribunal de proximité ».
Dans la première hypothèse, et sans entrer dans le détail des compétences d’attribution, le TJ a, en substance, pour vocation de traiter les litiges qui relevaient du TI et du TGI.
Dans la seconde, le tribunal de proximité gardera les compétences du TI.
Toutefois, il est simultanément créé, au sein du TJ, une nouvelle fonction, celle de Juge du Contentieux de la Protection (JCP), lequel est en charge des contentieux impliquant une partie présentant une vulnérabilité économique ou sociale particulière ou touchant à un ordre public de protection. Plus précisément, le JCP exerce les fonctions de juge des tutelles des majeurs, connaît de la procédure d’expulsion des occupations sans droit ni titre d’immeubles aux fins d’habitation et traite des affaires liées au surendettement des particuliers, au crédit consommation et au bail à usage d’habitation.
En deuxième lieu, l’extension de la représentation obligatoire par avocat.
S’agissant du TJ, le principe est la représentation obligatoire par avocat, les exceptions les plus importantes étant relatives aux matières relevant de la compétence du JCP et aux litiges dans lesquels la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10.000 euros (à l’exclusion des matières relevant de la compétence exclusive du TJ dans lesquelles la représentation par avocat est toujours obligatoire).
En ce qui concerne les juridictions spécialisées, l’intervention d’un avocat est désormais obligatoire :
- devant le tribunal de commerce dès lors que le montant de la demande est supérieur à 10.000 euros, qu’il s’agisse d’une action au fond ou en référé ;
- devant le juge de l’exécution, sauf pour une demande relative à l’expulsion ou quand la demande a pour origine une créance n’excédant pas 10.000 euros ;
- en matière d’expropriation ;
- en matière de fixation des loyers commerciaux.
L’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics sont toujours dispensés de se faire représenter par un avocat et peuvent avoir recours à l’intervention d’un fonctionnaire ou d’un agent de leur administration.
Enfin, l’exécution provisoire de droit des décisions de première instance.
L’on assiste à ce sujet à une inversion des règles jusqu’alors applicables.
Ainsi, l’article 514 du code de procédure civile dispose désormais : « Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement ».
Les exceptions légales concernent pour l’essentiel les décisions en matière d’état civil et en matière familiale.
Mais, même en dehors de ces matières, le juge peut, même d’office, par décision spécialement motivée, écarter en tout ou partie l’exécution provisoire de droit s’il estime qu’elle est « incompatible avec la nature de l’affaire ».
Il appartiendra dès lors aux parties qui veulent échapper à l’exécution provisoire de droit d’expliquer, dans les écritures, en quoi une telle exécution serait incompatible avec la nature de l’affaire, notion dont le contenu est bien impalpable.
A noter toutefois que l’exécution de droit ne pourra jamais être écartée en référé ou lorsque le juge ordonne des mesures conservatoires ou des mesures provisoires pour le cours de l’instance ou qu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état.
Lorsque l’exécution provisoire a été écartée, son rétablissement peut être demandé à hauteur d’appel au premier président de la cour ou, lorsqu’il est saisi, au magistrat chargé de la mise en état ; cependant, les trois conditions suivantes doivent être remplies :
- l’urgence doit être constatée ;
- ce rétablissement doit être compatible avec la nature de l’affaire ;
- il ne doit pas entraîner des conséquences manifestement excessives.
A l’inverse, en cas d’appel, il peut être demandé au premier président de la cour d’arrêter l’exécution provisoire de droit. Cette faculté existait déjà, mais les conditions sont désormais plus strictes :
- des moyens sérieux d’annulation ou de réformation doivent être constatés ;
- l’exécution provisoire doit entraîner des conséquences manifestement excessives ;
- la partie qui demande l’arrêt de l’exécution provisoire doit avoir comparu en première instance et doit avoir sollicité du juge qu’il écarte l’exécution provisoire ; à défaut, la demande d’arrêt de l’exécution provisoire ne sera recevable que si cette exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
La loi du 23 mars 2019 contient de nombreuses autres dispositions, notamment concernant le développement de la procédure participative, la simplification des modes de saisine des juridictions, la simplification des exceptions d’incompétence, et toute nouvelle procédure devra donner lieu à un examen systématique et attentif des nouveaux textes, étant précisé que, à quelques exceptions près, ces derniers ne concernent que les instances introduites après le 1er janvier dernier.
2020 sera donc une année de transition.
Année qui pourrait en outre être riche d’autres nouveautés en matière de procédure civile puisque, le 7 novembre 2019, la commission de réflexion présidée par Henri Nallet a remis à la Garde des Sceaux son rapport « Pour une réforme du pourvoi en cassation en matière civile », sujet à suivre naturellement…