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Cession d’actions et imprévision, c’est non ! En principe …

par : Chantal Cordier Vasseur (Associée) et Pierre Lafarge (Associé)

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 26 mai dernier, une décision importante s’agissant de l’article 1195 du Code civil relatif à l’imprévision (Décision n° 2023-1049 QPC).

Rappelons que ce texte, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, prévoit la faculté pour une partie à un contrat, en cas de changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion de ce dernier rendant son exécution excessivement onéreuse alors que la partie n’a pas accepté d’assumer ce risque, de demander à son cocontractant une renégociation de l’accord. En cas d’échec de cette démarche, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander au juge de l’adapter.

Cette disposition, qui a fait couler beaucoup d’encre, particulièrement à la faveur de la crise du COVID, n’est cependant – a priori, quelques voix discordantes se faisant entendre à ce sujet – pas d’ordre public.

Au surplus, elle n’est pas applicable aux cessions d’actions, et ce, en vertu de l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier, issu, quant à lui, de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance susvisée du 10 février 2016, l’objectif de cette exclusion étant d’assurer la sécurité juridique d’opérations portant sur des biens dont la valeur est susceptible d’une évolution rapide, importante et imprévisible.

C’est précisément sur la constitutionnalité de ce texte que le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer.

A l’occasion d’un litige portant sur une promesse d’achat d’actions, la partie qui devait se porter acquéreur a invoqué l’article 1195 du Code civil, ce à quoi le vendeur a répondu en se prévalant de l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier susvisé.

L’acquéreur a alors demandé au Tribunal de commerce de Paris de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier est-il conforme au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 1er de la Constitution et l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? ».

L’inégalité serait caractérisée à un double titre :

  • d’une part, l’inapplicabilité de l’article 1195 du Code civil, prescrite par l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier, a pour effet de soumettre à un régime différent les cessions d’actions et les cessions de parts sociales puisque l’imprévision est applicable à ces dernières ;
  • d’autre part, l’exclusion de l’article 1195 du Code civil vaut à la fois pour les cessions d’actions de gré à gré et les cessions d’actions intervenant sur les marchés financiers alors que, par nature,  seules ces dernières seraient susceptibles d’être l’objet d’un changement de circonstances imprévisible, risque que les parties ont accepté.

Le Tribunal de commerce (16 décembre 2022, n° 2021037638) puis la Cour de cassation (Cass. Com. 15 mars 2023, pourvoi n° 22-40.023) ayant considéré le débat sérieux, il a été porté devant le juge constitutionnel, lequel, dans une brève décision, a balayé l’un comme l’autre des arguments soulevés.

En ce qui concerne la différence de régime entre cession d’actions et cession de parts sociales, le Conseil constitutionnel l’estime justifiée au regard de la différence de nature de ces titres, les actions étant négociables alors que les parts sociales ne le sont pas. On peine pourtant à trouver là une motivation convaincante. En quoi cette différence de caractère peut-elle fonder, dans un cas, l’admission de l’imprévision et, dans l’autre, son exclusion ?

Quant au second argument, le Conseil constitutionnel se contente d’indiquer : « il ne saurait être fait grief au législateur de ne pas avoir opéré de différence de traitement entre les cessions d’actions, selon qu’elles s’opèrent de gré à gré ou sur les marchés financiers » ! La motivation, là encore, paraît bien faible, pour ne pas dire inexistante.

Quoiqu’il en soit, en pratique, qui dit cession d’actions, dit exclusion de l’article 1195 du Code civil et, qui dit cession de parts sociales, dit applicabilité de ce texte.

Reste que, évidemment, et c’est déjà un réflexe pour les praticiens des fusions-acquisitions, il est possible d’inclure dans le contrat de cession de parts sociales une clause écartant l’article 1195 du Code civil (ou en aménageant les cas et/ou les conditions d’application).

A l’inverse, l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier n’étant, selon la doctrine, pas d’ordre public (ce qui paraît logique, l’article 1195 du Code civil dont il écarte l’application ne l’étant a priori pas), un contrat de cession d’actions peut parfaitement contenir une clause prévoyant une obligation de renégociation en cas de bouleversement des conditions économiques ou de l’environnement contractuel. Ces clauses sont là encore très largement répandues dans la pratique (souvent sous les noms de « clause de hardship » ou « clause MAC »).

La pratique a donc, une fois encore, su s’accommoder d’une bizarrerie législative.

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