Point de vue de Chantal Cordier-Vasseur, Associée Département Contentieux des Affaires
Le 28 février dernier, Monsieur Bruno Le Maire, Ministre de l’économie et des finances, a annoncé, à l’issue d’une réunion avec les partenaires sociaux, que l’État considérerait le Covid19 comme un cas de force majeure pour les entreprises de sorte que, pour l’ensemble des marchés publics d’Etat, les pénalités de retard ne seraient pas appliquées. Il a réitéré cette position ce lundi 9 mars sur les ondes d’une radio nationale publique.
Mais, le Covid19 est-il vraiment un cas de force majeure ?
L’expression « force majeure » est certes entrée dans le langage courant, mais, en droit, elle répond à une définition précise, issue du Code civil. Ce dernier dispose, en son article 1218, alinéa 1, que « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
Ainsi, la force majeure ne peut être caractérisée qu’en présence d’un événement imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible.
Ses effets sont prévus par l’alinéa 2 du même article, ainsi libellé : « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. ».
Ainsi, la force majeure autorise le débiteur à ne pas exécuter son obligation ou, à tout le moins, à suspendre temporairement cette exécution, et elle l’exonère de toute responsabilité à cet égard. Le débiteur ne sera donc pas tenu de réparer les préjudices éventuels résultant de l’inexécution ou du retard intervenu dans l’exécution ; il échappera en particulier à l’application des clauses pénales et des pénalités de retard.
Plusieurs juridictions ont eu à statuer sur le point de savoir si telle ou telle épidémie (virus du chikungunya, virus de la Dengue, épidémie de peste, grippe H1N1, etc.) constituait, ou non, un cas de force majeure.
Aucune d’entre elles n’en a décidé ainsi.
Toutefois, l’examen des décisions rendues montre que les juges du fond se livrent à une analyse fine de la nature et des conséquences de l’épidémie considérée. Est-elle récurrente (cas de la Dengue – CA Nancy, 22 novembre 2010, n° 09/00003) ou, au contraire, constitue-t-elle un phénomène nouveau ? A-t-elle été annoncée par les autorités sanitaires (cas du virus H1N1 – CA Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/02291) ? Etait-elle déjà avérée lors de la conclusion du contrat (voir pour le chikungunya, CA Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, n° 08/02114) ? La maladie en cause fait-elle totalement obstacle à l’exécution de l’obligation (cas de la grippe – CA Rennes, 9 mars 2018, n° 18/01827 ; cas de la grippe aviaire, CA Toulouse, 3 octobre 2019, n° 18/01579) ? Peut-elle être aisément traitée (cas du chikungunya – CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° 17/00739), voire anticipée au moyen d’un traitement préventif (cas de la peste – CA Paris, 25 septembre 1998, n° 98/024244) ?
Évidemment, la réponse à ces questions peut évoluer dans le temps, et ce, en fonction de l’évolution de l’épidémie elle-même.
Ainsi, il n’existe pas de réponse toute faite et les opérateurs économiques ne devraient pas donner aux propos du Ministre de l’économie et des finances une portée excessive. Il s’agit d’une prise de position étatique valant pour les marchés publics. Même si cette position les incitera peut-être à l’indulgence, il n’est pas certain que les juges adopteront la même conception en présence d’un contrat commercial.
Dans un tel cas, il y a fort à parier que le comportement du débiteur, sa bonne foi et sa réactivité pour tenter d’exécuter ses obligations nonobstant la propagation du virus, seront des éléments majeurs dans l’appréciation du juge. Si des solutions alternatives, par exemple d’autres sources d’approvisionnement ou d’autres lieux de fabrication, peuvent être trouvées, naturellement, l’épidémie ne sera pas considérée comme irrésistible. Mais il est vrai que ces solutions peuvent être très onéreuses et bouleverser l’économie du contrat.
Dans cette hypothèse, le débiteur de l’obligation placé dans l’impossibilité de l’exécuter compte tenu de l’épidémie pourra, si le contrat ne l’exclut pas, revendiquer l’application de l’article 1195 du Code civil en vertu duquel « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Décriée notamment pour la lourdeur de la procédure de renégociation qu’elle prévoit, cette disposition, au demeurant supplétive, a peut-être quelques beaux jours devant elle en raison de l’émergence d’un certain virus…
Contact : Chantal Cordier-Vasseur (Mel : c.cordier-vasseur@latournerie-wolfrom.com | Tel. : 01 56 59 74 74)