par Sarah-Jane Mirou et Simon Mattern
# les essentiels :
- La négociation collective dans la fonction publique poursuit son rapprochement avec les règles applicables au secteur privé.
- Jusqu’à présent, le cadre de la négociation collective au sein de la fonction publique était notamment issu de la loi du 5 juillet 2010.
- L’ordonnance 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique permet, pour la première fois, à des accords collectifs d’édicter des mesures réglementaires au sein de chacune des trois fonctions publiques :
- la négociation collective est possible à l’échelon national et local, étant précisé que les accords nationaux priment sur les accords d’un niveau inférieur,
- le champ de la négociation est libre,
- le texte liste néanmoins les 14 domaines dans lesquels les accords pourront avoir une portée contraignante.
- l’autorité administrative est tenue de répondre à une demande de négociation formulée par un ou plusieurs syndicats majoritaires,
- la validité de l’accord est soumis à une condition de majorité.
Accords collectifs contraignants
Alors que, jusqu’à présent, la négociation au sein de la fonction publique se limitait à de simples « concertations », l’ordonnance du 17 février dernier permet la conclusion d’accords assortis d’une portée juridique contraignante.
Ainsi, dans une série de domaines limitativement énumérés par l’ordonnance, les partenaires sociaux pourront conclure des accords (i) édictant des mesures réglementaires et/ou (ii) contenant des clauses par lesquelles l’autorité administrative s’engage à entreprendre des actions déterminées n’impliquant pas de mesure réglementaire.
Ces accords pourront donc prévoir des mesures susceptibles d’avoir un effet immédiat pour les fonctionnaires, sans qu’il soit nécessaire de les transposer par acte réglementaire.
Négociation possible à l’échelon national et local
En matière d’évolution des rémunérations et de pouvoir d’achat, la négociation collective ne pourra être engagée qu’au seul niveau national.
En revanche, en dehors de ces deux domaines, la négociation pourra être conduite au niveau national, local, ou à un échelon de proximité. Cette négociation peut concerner chacune des trois fonctions publiques – Etat, Territoriale et Hospitalière.
Champ de la négociation collective
Le champ de la négociation collective est libre – sous réserve du monopole du niveau national en matière de rémunération et de pouvoir d’achat.
Néanmoins, selon le domaine concerné, la portée juridique des accords sera cependant variable.
L’ordonnance définit en effet 14 domaines principaux de négociation, dans lesquels les accords pourront comporter des mesures réglementaires :
- les conditions et l’organisation du travail, notamment les actions de prévention dans les domaines de l’hygiène, de la sécurité et de la santé au travail ;
- le temps de travail, le télétravail, la qualité de vie au travail, les modalités des déplacements entre le domicile et le travail ainsi que les impacts de la numérisation sur l’organisation et les conditions de travail ;
- l’accompagnement social des mesures de réorganisation des services ;
- la mise en œuvre des actions en faveur de la lutte contre le changement climatique, la préservation des ressources et de l’environnement et de la responsabilité sociale des organisations ;
- l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
- la promotion de l’égalité des chances et à la reconnaissance de la diversité et de la prévention des discriminations dans l’accès aux emplois et la gestion des carrières ;
- l’insertion professionnelle, le maintien dans l’emploi et l’évolution professionnelle des personnes en situation de handicap ;
- le déroulement des carrières et la promotion professionnelle ;
- l’apprentissage ;
- la formation professionnelle et la formation tout au long de la vie ;
- l’intéressement collectif et les modalités de mise en œuvre de politiques indemnitaires ;
- l’action sociale ;
- la protection sociale complémentaire ;
- l’évolution des métiers et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Pour chacun de ces domaines, l’ordonnance fixe malgré tout une limite à la faculté de prévoir, dans les accords, des clauses à portée normative : ces accords ne peuvent, en effet, porter sur des règles que la loi a chargé un décret en Conseil d’Etat de fixer, ni modifier des règles fixées par un tel décret, ni, encore, y déroger
Il est possible de conclure des accords portant sur tout autre domaine non expressément visé dans cette liste. Dans ce cas cependant, les accords ne pourront contenir aucune mesure réglementaire – leurs effets seront donc similaires à ceux des accords conclus selon le régime antérieur à l’ordonnance.
L’encadrement des négociations par des accords-cadres
L’ordonnance ouvre également la possibilité de conclure des accords-cadres, dont l’objet est de définir la méthode applicable aux négociations portant sur les 14 domaines précités. Ils ont pour objet de déterminer les modalités et, le cas échéant, le calendrier de ces négociations.
Ces accords peuvent être communs aux trois fonctions publiques dans leur ensemble, ne concerner que l’une d’entre elles au niveau national, ou encore un département ministériel et les établissements publics qui en relèvent.
Bien que cela puisse paraître redondant avec les accords-cadres, l’ordonnance prévoit, en sus, la possibilité de conclure des « accords de méthode » préalablement à l’engagement des négociations au fond.
L’initiative de la négociation
Les modalités de l’engagement de la négociation collective est laissée à l’appréciation des partenaires sociaux.
En revanche, lorsqu’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives de fonctionnaires ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales lors des dernières élections professionnelles organisées au niveau auquel l’accord est négocié demandent à l’autorité administrative ou territoriale compétente d’ouvrir une négociation, cette autorité est tenue de proposer, dans un délai maximal qui sera fixé par décret, une réunion visant à examiner cette demande.
Validité des accords
S’alignant sur les prescriptions du code du travail applicables aux relations de droit privé, l’ordonnance conditionne la validité des accords à leur signature par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives de fonctionnaires ayant recueilli, à la date de la signature de l’accord, au moins 50% des suffrages exprimés.
Du côté de l’administration, l’autorité administrative ou territoriale compétente pour conclure ces accords est celle qui a compétence pour prendre les mesures réglementaires que comporte l’accord, ou pour entreprendre les mesures qu’il prévoit. A titre dérogatoire, et dans un souci de favoriser les négociations entre les interlocuteurs les plus
directement intéressés, l’ordonnance permet à l’autorité administrative compétente de déléguer la conduite de la négociation et la signature de l’accord à une autre autorité administrative. La validité de celui-ci restera toutefois conditionnée par l’approbation préalable de son contenu par l’autorité compétente.
En outre, lorsque l’objet de l’accord relève de la compétence d’un organe collégial ou délibérant, ce dernier devra préalablement autoriser la négociation et la conclusion de l’accord ou, à défaut, approuvé l’accord ayant été conclu.
Hiérarchie des normes
La faculté laissée aux échelons locaux de négocier des accords spécifiques reste encadrée par la possibilité de conclure des accords nationaux – voire communs aux trois fonctions publiques – dont le contenu s’impose aux partenaires sociaux négociant aux niveaux inférieurs, lesquels ne
peuvent que préciser cet accord, ou en « améliorer l’économie générale dans le respect de ses stipulations essentielles ».
En tout état de cause, l’autorité signataire conserve la possibilité de suspendre l’application de l’accord en cas de « situation exceptionnelle », notion dont les contours restent, à ce jour, à déterminer.
Le contentieux des accords collectifs
Le contentieux relatif aux accords collectifs dans la fonction publique relève du juge administratif. Celui-ci pourra donc connaître de la validité de ces accords, mais également de leur interprétation.