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Saisies conservatoires et plainte pénale : des précisions bienvenues

Commentaire de l’arrêt du 9 septembre 2021 de la Cour de cassation (Cass. Civ. 2ème, n°20-10.581) par Chantal Cordier-Vasseur (Associée LWA) et Raphaëlle Meuter (Juriste LWA)

Selon le code des procédures civiles d’exécution, tout créancier pratiquant une mesure conservatoire pour sécuriser le recouvrement de sa créance est tenu d’introduire une procédure ou d’accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire dans le délai d’un mois suivant l’exécution de la mesure. S’il ne le fait pas, celle-ci est caduque.

La cour de cassation rappelle à ce sujet qu’une plainte pénale, même assortie d’une constitution de partie civile, peut ne pas être une formalité suffisante à cette fin ; une telle plainte ne permet pas en effet de s’assurer systématiquement de l’identité des personnes susceptibles d’être condamnées à payer des dommages et intérêts. Elle n’est dès lors pas de nature à permettre l’obtention d’un titre contre un débiteur déterminé, en particulier celui visé par la saisie conservatoire pratiquée (9 septembre 2021, Cass. Civ. 2ème, n°20-10.581).

Retrouvez nos commentaires sur les conséquences importantes de cette décision à laquelle praticiens et créanciers doivent prêter attention.

Les mesures conservatoires sont incontestablement des armes redoutables aux mains des créanciers ne disposant pas de titre exécutoire leur permettant de poursuivre le recouvrement de leur créance. Par anticipation, ils peuvent, en pratiquant de telles mesures, assurer la sauvegarde de leurs droits et parer à l’insolvabilité éventuelle de leur débiteur, tout en exerçant sur lui une pression conduisant souvent à un paiement, au moins partiel, ou, à tout le moins, à des discussions amiables qui peuvent s’avérer constructives. Il leur suffit d’établir devant le juge (Juge de l’exécution ou Président du Tribunal de commerce si la créance est de nature commerciale), dans le cadre d’une procédure non contradictoire, que leur créance paraît fondée en son principe et que des circonstances sont susceptibles d’en menacer le recouvrement[1].

Toutefois, sous peine de caducité de la mesure pratiquée, le créancier doit, dans le mois suivant l’exécution de la mesure, engager une procédure ou accomplir les formalités permettant d’obtenir un titre exécutoire[2].

Reste que, comme souvent, le texte n’a que l’apparence de la simplicité. Car, que signifie en pratique « introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’accomplissement d’un titre exécutoire » ?

Alors que la solution paraît claire en matière civile (la délivrance de l’assignation suffit pour introduire une procédure), la question est plus épineuse en matière pénale. S’il est certain que la plainte pénale dite « simple », c’est-à-dire non assortie d’une constitution de partie civile, ne peut valoir introduction d’une procédure permettant l’obtention d’un titre exécutoire[3], la réponse est plus nuancée quant aux effets de la plainte avec constitution de partie civile.

Par l’arrêt ici commenté, la Cour de cassation a ajouté une pierre à l’édifice, éclairant les praticiens alors qu’elle ne s’est prononcée sur cette question que trois fois en vingt ans.

Les faits concernaient le liquidateur judiciaire d’une société, mis en examen aux côtés d’autres personnes physiques et morales pour des irrégularités commises dans le cadre de la liquidation. Le liquidateur désigné pour le remplacer s’est constitué partie civile au nom de la société dans l’information judiciaire portant sur ces irrégularités. Il a ensuite été autorisé par le juge de l’exécution à pratiquer une saisie conservatoire de créances sur les comptes bancaires de son prédécesseur et d’une des sociétés mises en cause. Ces derniers ont demandé au juge de l’exécution la mainlevée des saisies, laquelle a été ordonnée en première instance, puis confirmée en appel.

L’auteur des saisies conservatoires critiquées a alors formé un pourvoi.

La Cour de cassation a dès lors dû se pencher sur les conséquences de la constitution de partie civile devant le juge d’instruction, dans le cadre de l’information en cours. Pour le nouveau liquidateur, celle-ci est une formalité permettant l’obtention d’un titre exécutoire, les personnes visées par la saisie litigieuse ayant été mises en examen à raison d’un délit commis au préjudice du créancier saisissant.

La Cour de cassation n’a pas fait sien ce raisonnement. Elle a en effet constaté que la constitution de partie civile avait été déposée contre personne non dénommée et qu’il ne pouvait pas être déduit de ses termes qu’elle visait nécessairement les débiteurs saisis. Elle en a conclu qu’il n’était pas établi que les dommages et intérêts éventuellement accordés au créancier saisissant seraient mis à la charge de ces débiteurs. Dans ces conditions, la constitution de partie civile ne pouvait, en l’espèce, être regardée comme une formalité de nature à permettre l’obtention d’un titre exécutoire.

Cette position, énoncée pour la seconde fois[4], est à rapprocher de deux arrêts de 2000 et 2014 dans lesquels la Cour de cassation a affirmé que la plainte avec constitution de partie civile portée contre personne désignée constitue la mise en œuvre d’une procédure destinée à l’obtention du titre exécutoire[5].

Ainsi, aux yeux de la Cour de cassation, ce qui compte n’est pas seulement de déposer une plainte avec constitution de partie civile ou de se constituer partie civile dans une information en cours, encore faut-il que la constitution de partie civile cite nommément la personne visée et qu’il en résulte que cette personne est susceptible de devoir, à l’issue de la procédure, assumer la charge de la réparation d’un préjudice.

Au demeurant, cette solution ne devrait pas surprendre ; en posant cette exigence, la Cour de cassation ne fait que demander à celui qui se constitue partie civile de se comporter comme s’il faisait signifier une assignation qui, par nature, est dirigée à l’encontre d’une personne dénommée et expose en quoi celle-ci doit être condamnée au paiement de dommages et intérêts.

Reste que la position ainsi retenue par la Cour de cassation est en pratique source de contraintes dont le créancier doit tenir compte.

En premier lieu, naturellement, il devra être vigilant dans la rédaction de la constitution de partie civile s’il envisage de la faire valoir comme formalité permettant l’obtention d’un titre exécutoire ; il devra alors viser nommément le débiteur et montrer que ce dernier pourrait être condamné à verser des dommages et intérêts.

En second lieu, il devra « jongler » avec les délais ; en effet, la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que son auteur justifie soit que le procureur de la République lui a fait savoir, à la suite d’une plainte simple déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé sans avoir suscité de réaction du procureur depuis que cette plainte simple a été déposée.

Or, le créancier dispose, comme précédemment indiqué, d’un délai d’un mois suivant l’exécution de la mesure conservatoire pour engager une procédure permettant d’obtenir un titre exécutoire.

Dès lors, une plainte simple devra avoir été déposée au minimum deux mois avant l’exécution de la mesure conservatoire pour que, dans le délai d’un mois suivant cette exécution, une plainte avec constitution de partie civile puisse être régularisée. A défaut, une telle plainte ne pourra être déposée qu’après l’expiration du délai d’un mois dans lequel la procédure visant à l’obtention d’un titre exécutoire doit être déposée de sorte que la mesure conservatoire sera frappée de caducité. Le créancier devra donc prendre garde à ne pas se hâter pour procéder à l’exécution de la mesure conservatoire qu’il aura été autorisé à pratiquer et sera bien inspiré, une fois n’est pas coutume, de laisser du temps au temps !

[1] Article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution

[2] Article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution

[3] Cass. Com., 27 juin 2000, n°98-15.911

[4] Cass. Civ. 2eme, 21 novembre 2002, n°01-02.705

[5] Cass. Civ. 2ème, 30 mars 2000, n° 98-12.782 ; Cass. Civ. 2ème, 25 septembre 2014, n°13-21.462

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